L’écriture prend une grande partie de mon travail. Souvent lieu de départ de création, elle devient parfois édition.

Les belles personnes

Série de seize portraits.
Projet en cours, édition en devenir.

Les 16 cadres et portraits ont été exposés au Salon Reçoit en avril 2022.
Publications d’une série dans Magazine Aléatoire.

Rousse. Roux cuivré. C’est ce qui est écrit sur la boîte de henné. Cette couleur sied très bien à sa peau. Plutôt petite, un mètre soixante, elle met un point d’honneur à être plus grande. Elle a des Converse compensées, des pantalons larges et crop top. Chemise blanche oversize par-dessus. Queue de cheval ou deux petites couettes sur le haut de la tête comme une abeille, elle est attendrissante. Elle oublie souvent si elle a vingt deux ou vingt-trois ans. Elle a fait psycho. Elle a un côté bonne élève. Elle est toujours calme et posée. Précise. Elle dit tout le temps «c’est comme ça» ou «c’est la vie». Parfois quand même elle s’énerve mais sans élever la voix. Elle veut tout bien faire et ne contrarier personne. Elle veut pouvoir être fière d’elle. Parfois, elle s’en demande trop au nom de la fierté.

Redhead. Copper red. That’s what it says on the henna box. This color suits her skin very well. Rather small, a meter sixty, she puts a point of honor to be taller. She has wedge Converse, wide pants and crop top. Oversized white shirt on top. Ponytail or two little pigtails on the top of her head like a bee, she is touching. She often forgets if she is twenty-two or twenty-three. She studied psychology. She has a good student side. She is always calm and composed. Precise. She always says « that’s how it is » or « that’s life ». Sometimes she even gets angry but without raising her voice. She wants to do everything right and not upset anyone. She wants to be proud of herself. Sometimes she asks too much of herself in the name of pride.

A propos de la vie

La bouteille bleue

J’ai connu une bouteille verte. Une bouteille verte qui voulait désespérément être bleue. Il lui semblait que le bleu était une bonne couleur pour une bouteille.
Une couleur assez neutre et plutôt romantique qui l’empêchait de passer pour une ivrogne. Elle me parlait de tous ces bleus fantasmagoriques.
Bleu cobalt, bleu saphir, bleu marine ou même bleu minuit… Elle cherchait autour d’elle ce bleu lui correspondant le plus. Elle allait dans les grands magasins, les petits magasins, dans les friperies aussi, à la recherche de sa couleur fétiche. Elle glanait objets et tissus composant peu à peu sa palette bleue. Elle se raccrochait à l’idée d’être un jour aimée pour son bleu lumineux. Elle rêvait de faire partie d’une collection d’objets d’antan, chinés avec les années, prenant la poussière en haut d’une étagère ou devant une fenêtre.

L’oeuf dur

Je ne digère et ne mange que des oeufs durs alors je sais simplement comment faire cuire un oeuf dur que je mange souvent avec du sel et du cumin. Pour faire cuire mon oeuf dur, je le mets dans une casserole avec de l’eau et un peu de vinaigre (de vin ou balsamique) pour participer à éviter un certain nombre de tracas que je vous dirais plus tard. Ensuite, je mets ma casserole sur le feu. Je fais bouillir et dès que l’eau bout, je descends le feu à feu moyen. C’est parti pour neuf minutes, parfois dix. Mettre les oeufs avant que ça bout, et pas juste quand ça bout, est une très bonne technique pour ne pas se brûler et risquer de lâcher l’oeuf d’un coup parce qu’on s’est brûlé. Et dans ce cas-là, alors, bim c’est fichu pour l’oeuf dur bien cuit, parce que la coquille se fend, le blanc s’échappe et se répand hors de la coquille, et à la fin on a un oeuf bossu, du blanc qui s’est répandu et le jaune qui se retrouve en bas tout seul et mal cuit. Un vrai désastre. Alors il y a quelques années j’ai adopté cette technique, et pour être honnête ça me change la vie et celle de mes oeufs durs aussi. Enfin je crois parce que si ça se trouve aucun oeuf n’a envie d’être cuit. Peut-être qu’ils sont beaucoup plus heureux crus en gardant leur nature propre avec leur coquille et leur couleur et tout.

La mort du sapin

Ben voilà. C’en ai fini de mon petit sapin. Celui que je voulais replanter en haut de la montagne. Un jour, je suis allée sur la terrasse et il était mort. Il a fini à la poubelle, dans un sac noir sans avoir pu attendre d’être replanté au vent frais. Le temps lui paraissait long probablement. Il est mort.
Moi aussi le temps parfois me paraît trop long. Mais j’attend quand même. J’ai pas envie de finir dans un sac noir.

Meurtre à la cigarette

J’ai envie de cigarettes. Fumer est un bon remède à l’ennui, quoi qu’éphémère. Une fois qu’on a consumé la première cigarette, l’ennui nous submerge et l’option la plus évidente est de gagner du temps en en allumant une autre pour faire reculer un peu l’ennui. Mais je ne fume pas. Je n’ai jamais fumer. Bien que ce serait l’occasion idéale de commencer car mon ennui est grand, je ne sais pas si le feu en vaut la cigarette. Peut-être bien que oui finalement parce qu’il y a avec la cigarette, une chorégraphie de la cigarette qui vient en amont de l’action de la fumer et qui est primordiale dans la course contre l’ennui. Tout d’abord, il faut être assis ou avachis, avoir le regard vide et la mine renfrognée. Grommeler est souvent d’usage. C’est là que vient la première pensée de la cigarette. Pensée agréable et revitalisante. Une légère hésitation du fait qu’il faille se lever et aller dehors pour fumer assaille le corps las. Mais cette hésitation ne saurait durer. L’ennui est trop grand et l’envie d’y échapper trop profonde. Il faut se lever. Sortir de l’endroit où on se trouve aussi discrètement que la petite souris pour ne pas se trahir avec notre ennui. Cela pourrait blesser certaines personnes autour de nous. Une fois dehors, un buisson ou un arbre robuste est la meilleure cachette secrète pour s’installer et fumer notre ennui tranquillement. Dégainer le paquet de cigarettes. Réévaluer une dernière fois d’un œil suspicieux notre décision. La chorégraphie de la cigarette perdrait son charme si au moment du salut nous décidions de battre en retraite. Ce serait le drame. L’ennui aurait gagné. Maintenant c’est trop tard. La cigarette est allumée. L’ennui gagne subrepticement du terrain pendant qu’on réfléchit à si oui ou non c’est raisonnable d’en allumer une autre. Mais le temps ne dure pas, il faudra rentrer tout à l’heure.

Des gouttes sur le visage

Des gouttes sur le visage est un recueil de vingt-six textes courts, à mi chemin entre la biographie et la fiction, auto-publié en 2018.

Douze ans

Ils étaient penchés au dessus du garde-corps en fer rouillé. Des mètres plus bas, le sol. Le béton. Est-ce que si je saute de là je meurs ? L’écriteau sur la porte avant disait pourtant passage interdit. Mais pas important. On ne lit pas les écriteaux quand on a douze ans. Quand on a douze ans on passe quand même, avec une petite boule au ventre qui mêle peur et excitation, un petit rire pas tout à fait assumé derrière le coude et un sentiment de fierté d’avoir bravé l’interdit. Même si le danger guette, quand on sera grands, ça fera de bonnes histoires. C’était l’endroit le plus haut du village. On voyait les toits des maisons et la rivière serpenter entre le flanc des montagnes au dessus desquelles les nuages flottaient haut. Ils avaient pédalé à en perdre haleine au beau milieu de la nuit, juste avant que le soleil se lève. Le vent soufflait fort et le ciel était gris.

Trajets

Je suis dans la voiture, et je regarde le ciel et les arbres s’enfuir vite. On conduit vite mais je n’ai pas peur. Je ne sais plus à la combientième heure on est de trajet mais je m’en fiche. Au contraire je veux que ça dure. Je ne m’ennuie pas. Je me dis justement que les trajets sont les seuls temps où l’ennui n’existe pas. Je me dis que les trajets en voiture sont de réels voyages dans le temps. Le temps passe et ne passe pas en même temps. Et les espaces n’existent plus vraiment. Finalement, on finit par arriver. On se gare et je descends. Mes jambes tremblent et me soutiennent à peine. Je fais quelques pas et m’arrête. Je ferme les yeux et rempli mes poumons d’air. J’adore cet endroit. Je pourrais rester assise des heures incalculables sur le siège arrière de la voiture à voyager dans le temps, à ne pas m’ennuyer, à regarder le ciel et les arbres s’enfuir vite, à ne pas compter les heures, à ne pas vouloir que ça finisse, pour enfin arriver, ici.